dimanche 16 mars 2025

Vivant? Toujours!

 


Je reviens d'un traitement d'acupuncture. J'ai mal au cou depuis des jours. Je sais pourquoi mais je n'arrive pas à faire le ménage qu'il faut dans ma tête pour la rendre plus légère et apaiser ma douleur. Alors je suis allée me faire transpercer la peau en espérant rétablir un flux magnétique plus harmonieux. Je suis chanceuse. Je peux m'y rendre à pied. Et il fait super beau. Je sens le printemps dans l'air. Je décide donc d'allonger ma promenade en empruntant une rue de plus avant de retourner à la maison.

Elle est là. Juchée dans le gros banc de neige devant sa maison. Elle porte des lunettes de soleil et un drôle de chapeau. Avec sa pelle, elle arrive tant bien que mal à gruger l'iceberg pour en détacher de petits morceaux qu'elle jette ensuite dans l'entrée de garage. Elle semble heureuse d'être là au sommet de ce qu'a été l'hiver. Je la salue. Elle me répond joyeusement et entame immédiatement la conversation. J'apprends ainsi qu'elle est restée confinée à la maison presque tout l'hiver. "Vous savez, je me suis déjà cassée un fémur. Je ne peux pas prendre la chance de m'en casser un autre". Elle a bien raison. Mais là, aujourd'hui, grâce à la clémence du temps, elle a décidé d'aller jouer dehors. "Je suis toujours la première dans la rue à m'attaquer au banc de neige", me déclare-t-elle avec fierté. Comme je la préviens de faire quand même attention, elle me rétorque sans ambages : "Il n'y a pas de danger. Je suis bien enfoncée dans la neige". D'accord. Elle poursuit et m'informe qu'elle vit toujours dans sa maison avec son mari qui a eu 100 ans et a renouvelé son permis de conduire cette semaine. Je suis impressionnée. "Je ne me sens pas encore prête à quitter la maison" qu'elle ajoute devant mon air admiratif. Et là je le vois arriver vers moi le centenaire de sa vie. Droit comme un piquet, il se prépare à aller marcher lui aussi. "Je lui ai dit de sortir. Si je ne le force pas, il reste assis et ne bouge pas. Ce n'est pas bon pour la santé". Elle a bien raison. Je souris en leur souhaitant une belle fin de journée. Ce à quoi elle me lance : "Surtout, profitez de la vie!". Ah la la. Sans le savoir, elle vient de multiplier le pouvoir de guérison des aiguilles. Je sens l'énergie circuler avec rapidité dans tout mon être. Me semble aussi que mes épaules viennent de descendre d'un cran. Comme le banc de neige devant la maison.

L'Homme et moi sommes en visite dans une résidence pour personnes âgées. On vient voir un ami qui s'est retrouvé là contre son gré. Enfin. Disons qu'il a fait en sorte que d'autres prennent des décisions pour lui. L'endroit est sinistre. Un véritable mouroir. À l'image malheureusement du sort que notre société réserve aux aînés qui n'ont pas beaucoup d'argent. Faut bien les placer quelque part. Pour eux, pas de piscine ni de gymnase. Pas de grandes bibliothèques ou de salles de billard. Pas de salle de cinéma ou de salon de coiffure. Pas de beaux grands fauteuils confortables où passer le temps en regardant un feu de foyer ou un paysage bucolique. Pas d'activités non plus si l'on fait exception de la messe, du yoga sur chaise une fois par mois et des quilles en plastique qu'on abat dans le corridor qui sert d'allée improvisée. Un tout inclus de misère quoi!

Pendant que l'Homme jase avec un monsieur dans le corridor, notre ami me confie qu'il a fait une "petite" fugue depuis notre dernière visite. Je ne suis pas trop surprise. Il avait déjà évoqué cette possibilité devant l'ennui mortel des jours qui n'en finissent plus de finir dans cette antichambre de la mort. "Comment as-tu fait pour te sauver?" que je lui demande. "Je leur ai dit que j'allais à la caisse de l'autre bord de la rue." Logique. C'est la seule chose à faire sur des kilomètres à la ronde. "Une fois rendu là, j'ai appelé un taxi pour me rendre chez mon beau-fils". Soupçonnant que le beau-fils en question ne devait pas s'attendre à cette visite imprévue et qu'il n'avait sans doute aucune intention de prendre un nouveau pensionnaire, je lui demande de poursuivre son histoire. "Ben, pour pas qu'ils envoient la police après moi, je les ai appelés pour leur dire où j'étais et aussi que j'allais revenir par mes propres moyens". Et là, il me regarde dans les yeux et me lance : "Ça m'a fait du bien de sortir et de décider quelque chose pour moi. Je me suis dit que j'existais encore et que le vrai moi était toujours là!". Tu as bien fait mon ami. La résistance, ça peut prendre différentes formes. On essaie de t'enterrer alors que tu es toujours en vie. Au déclin de ton séjour ici-bas, voilà que tu dois encore déployer une énergie folle pour garder ta dignité et clamer ton droit d'exister et de disposer de ta vie à ta guise. Oui, résiste!

Bon. Voilà que j'ai de nouveau mal au cou juste à repenser à cette chambre minuscule qui ressemble davantage à une cellule qu'à un milieu de vie. Et j'ai un peu le coeur qui chavire pour mon ami et tous ses compagnons d'infortune qui méritent mieux comme sort. Pour me ragaillardir un peu, je garde à la mémoire ce conseil que la Vie vient quand même de m'offrir cette semaine : Tant qu'on peut grimper sur un banc de neige avec nos lunettes de soleil et prendre un taxi pour fuir afin de se retrouver, tout va!

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