jeudi 2 décembre 2010

Voyage au bout de l'enfer

Ça va mieux. Ça va même beaucoup mieux. Finie la pluie. Finies les larmes. Place aux trottoirs et au métal. Et pourtant... pourtant, j'ai hésité quand même un peu à chausser les espadrilles. Je l'ai déjà dit. Le voyage de retour en wagon à bestiaux après la journée de travail me rentre dedans. Même quand je suis assise, comme ce soir, entre un militaire dans son habit de camouflage vert et une femme d'un certain âge vêtue de cuir de pied en cap.

Justement, d'où est venu le danger selon vous? De l'armée canadienne ou de Ilsa la louve des SS? Je vous le donne en mille. C'est la cuirette qui est venue titiller le côté hypocondriaque de mon moi-même. Alors, je suis là, serrée comme une sardine entre un soldat sans peur et sans reproche et une maîtresse de donjon à qui il ne manque que le fouet et les menottes. J'essaie tant bien que mal de ne pas trop me frotter contre les cuisses de l'un et de l'autre. C'est difficile. Surtout que l'ardent défenseur de notre feuille d'érable, comme la plupart des représentants de son sexe, a les jambes bien écartées pour mieux reposer les bijoux de la Reine dont il est le protecteur. M'enfin. J'y arrive.

J'ai un peu chaud, cependant, du côté de la cuisse qui côtoie le pantalon en peau. C'est que ça respire pas vraiment bien le cuir. Je crois, en fait, que ça respire pas pantoute. Je décolle lentement ma jambe en essayant de ne pas arracher un morceau du vêtement de Ilsa à cause de la succion qui s'est exercée entre nos deux pantalons. Tout d'un coup, son cellulaire sonne. Je crois reconnaître l'hymne national soviétique. Ne riez pas. Je me rappelle de l'air qui était joué lors des grandes séries de hockey opposant le Canada à la Russie. Ça donne une idée de mon âge et ça explique l'éclair dans mon cerveau. "Ouais, chus dans l'autobus en ce moment," répond l'espionne du KGB. "J'devrais être là d'ici une demi-heure (aparté : elle est optimiste, moi j'aurais dit une heure). Je dois passer à la pharmacie avant d'aller à la maison. Chus retournée voir le docteur. J'ai besoin de nouveaux antibiotiques. Ceux que j'ai pris ne fonctionnent pas. Ouais, je sais que ça fait plusieurs. Je pense que c'est le cinquième qu'il essaie. Mais je n'ai pas le choix. Il a fait une culture de la bactérie et il dit qu'il faut que je change de médicaments." Je n'ai pas entendu le reste de la conversation. J'étais dégoûtée. Ouache. Du cuir contaminé? Du cuir contaminé qui me touche? Du cuir contaminé qui me touche et dont je ne peux m'éloigner à moins de rester debout parce qu'il n'y a plus de place dans l'autobus?

J'aurais voulu débarquer tout de suite. J'aurais voulu que Ilsa débarque tout de suite. Ou le militaire camouflé. Comme ça, j'aurais pu me tasser du côté opposé au microbe ambulant. Là, j'ai carrément laissé la gêne de côté et j'ai collé ma cuisse gauche sur le pantalon kaki. J'étais une réfugiée afghane. L'armée devait me protéger.

J'ai réussi à ne pas me lancer dans des suppositions horribles sur la bactérie affligeant Ilsa que j'espérais ne pas être la dévoreuse de chair. Cela aurait expliqué, toutefois, le port du cuir. C'est plus résistant. Et certainement plus difficile à croquer. Mais j'imagine que si cela avait été le cas, Ilsa aurait été trop malade pour aller travailler. À moins que... à moins que ce soit un complot pour infecter le plus grand nombre de personnes possible. Ça se peut ça, non?

Ah! enfin, c'est son arrêt. Je respire. J'ai hâte d'arriver à la maison pour procéder à la fumigation de mes vêtements. Avec toutes ces émotions, je ne comprends pas pourquoi j'hésitais encore à prendre l'air. À la minute où j'ai mis les pieds sur le trottoir, j'ai senti que j'étais à ma place. Le calme est revenu en dedans. J'ai respiré à fond l'air pendant qu'il était frais et non pollué par la fumée des poêles à bois de ceux qui, à l'instar de notre gouvernement, refusent de protéger l'environnement. Et j'ai marché. Et c'était parfait. Des trottoirs secs. Une température agréable. De l'énergie à dépenser. Et le métal de Dark Tranquillity. "Don't bring your misery down on me," que je chantais, toute émue parce que si bien dans ma peau.

Eh! j'ai presque oublié l'absence de la Fille. Presque.
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Notes aquatiques : Le bulleur est enfin installé grâce à l'Homme qui a lu les instructions à tête reposée. Ça bubulle doucement dans le bassin et, comme prévu, les barracudas se baladent autour de leur nouvelle bébelle. Si ça peut leur permettre de passer l'hiver, ils peuvent bien regarder tout leur soûl.

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