jeudi 3 juin 2010

De l'eau au moulin

Je continue aujourd'hui sur ma lancée d'hier. Ne vous inquiétez pas, je suis réveillée. En parcourant donc le journal et sans avoir à faire d'efforts particuliers pour dénicher les articles ci-dessous, j'ai lu avidement les propos qui suivent et qui corroborent parfaitement la conclusion de mon collègue de la plume française et de votre humble marcheuse urbaine, à savoir que le moral est bas. Lisez plutôt :

Armés d'une potion magique dont le principal ingrédient est l'indifférence des citoyens, Stephen Harper et son gouvernement se permettent, encore une fois au nom de tous les Canadiens, d'exprimer de timides regrets pour les pertes de vie humaines entraînées par l'assaut de l'armée israélienne contre la flottille humanitaire qui se dirigeait vers la bande de Gaza lundi dernier.
(Christian Nadeau, Le Devoir, 3 juin 2010)

(...) mais le gouvernement conservateur traîne toujours les pieds dans le dossier de l'accès aux documents censurés sur les détenus afghans. (...) Il n'y a pas lieu de s'en étonner, mais il faut s'en désoler à double titre : le non-respect des institutions par les conservateurs n'a décidément pas de limites, la faiblesse de l'opposition - nommément les libéraux - est gênante dans ce bras de fer qui n'a pas lieu d'être et qui pourtant ne finit pas.
(Josée Boileau, Le Devoir, 3 juin 2010)

Si Jean Charest faisait une telle adresse à la nation (annoncer la tenue d'une enquête publique sur le financement des partis politiques, maintenir la loi 104 en utilisant la clause nonobstant pour empêcher les riches d'acheter le droit pour leurs enfants de fréquenter les écoles anglaises et obtenir la collaboration de tous les partis politiques du Québec pour l'adoption d'une Constitution visant à donner un fondement juridique à la nation québécoise), la Fête nationale ne serait pas que folklorique, elle serait euphorique. En effet, un horizon politique nouveau apparaîtrait et susciterait beaucoup d'espoir chez les Québécois. Cela apporterait en prime de l'oxygène à notre classe politique qui en a bien besoin. Que ça ferait du bien! Bien sûr, ceci est un rêve, le dernier refuge avant une noirceur plus permanente qui a commencé, telle la nappe de pétrole dans le golfe, à s'étendre sur tout le Québec sur le plan politique.
(Denis Forcier, Le Devoir, 3 juin 2010)

Alors, poussant notre réflexion, mon collègue de la plume française et moi-même en sommes venus à nous demander jusqu'où les journalistes devront pousser les dénonciations et les révélations pour obtenir un semblant de réaction de la population. Il semble en effet que rien dans les agissements de nos leaders politiques ne peut susciter le début d'un commencement de questionnement chez les électeurs. Tous sont-ils sombrés dans un immense bain d'indifférence? Tous sont-ils devenus sourds, aveugles et muets? C'est bien évident que la chose politique n'attire pas les jeunes. Et c'est sans doute le cynisme ou l'impuissance qui habitent les vieux.

Mon collègue a émis l'opinion, comme la Nièce littéraire l'avait déjà fait en réponse à un de mes blogs sur un sujet semblable, qu'il fallait peut-être abandonner l'idée de sauver le monde pour se concentrer sur notre petit jardin. (Oui, chère Nièce, il a, tout comme toi, utilisé la métaphore du jardinet.) J'ai réfléchi quelques minutes à cette solution. Mais je l'ai vite rejetée et voici pourquoi.

Il y a de cela quelques années, quand le Fils et la Fille étaient au primaire et au secondaire, je faisais partie des conseils d'établissement des deux écoles qu'ils fréquentaient avec l'idée, comme les autres parents qui m'accompagnaient dans cette odyssée, que j'allais pouvoir contribuer à améliorer le monde scolaire. J'ai assisté à moult réunions et débats, j'ai été frustrée à un nombre incalculable de reprises par l'intransigeance de certains directeurs ou enseignants, j'ai protesté sans succès pour faire renverser des décisions qui m'apparaissaient injustes ou dénuées de tout sens commun. J'ai gardé un goût amer de l'expérience et béni le ciel le jour où la Fille a finalement revêtu sa robe de graduation. Adieu règlements stupides, budgets insuffisants, arguments stériles! J'ai fait ma part. J'ai donné. Je n'y reviendrai pas. C'est ce que je pensais il n'y a pas si longtemps encore jusqu'à ce que je réalise que je devrai, inévitablement, renouer éventuellement avec le monde scolaire, ne serait-ce que pour me tenir au courant de ce qui va toucher un jour mes petits-enfants ou plus simplement pour les aider à faire leurs devoirs. Et c'est là que le petit jardin perd un peu beaucoup de son sens.

Nul n'est une île. Certes, il peut parfois sembler facile ou tentant de se dire que des projets de loi sur le droit d'auteur, sur le registre des armes à feu, sur les organismes qui défendent les droits des femmes, sur le calendrier scolaire, sur les jeunes contrevenants, pour ne prendre que ces quelques exemples, ne nous touchent pas et que nous n'avons que faire des modifications qu'ils apportent à notre société. Fort bien. Mais qui nous dit que nous ne serons pas un jour plagiés? Je pense ici au Pusher de metal dont le groupe doit lancer un CD sous peu. Si tout le monde le copie et personne ne l'achète, comment les membres du groupe vont-ils récupérer un peu de leur investissement? De la même façon, qui dit que nous ne serons pas à un moment de notre vie un de ces vieux placés dans des établissements où on laisse mariner les gens dans leur jus, où on ne sert que du manger mou, des patates en flocons réhydratées et des fruits en boîte et où les seules distractions offertes se limitent aux prestations piteuses de clowns imbéciles? Et je ne souhaite à personne d'entre nous d'être victime d'un acte de violence qui aurait pu être prévenu ou atténué si les policiers appelés en renfort avaient su qu'il y avait un tireur armé dans la maison.

Oui, on peut se concentrer sur notre jardinet. Et c'est important de le faire. Mais il faut aussi regarder par dessus nos plates-bandes et s'intéresser à nos voisins. Est-ce qu'ils utilisent sans vergogne des produits chimiques et des pesticides? Si c'est le cas, nos légumes risquent d'être contaminés. Plus important encore, nos enfants et nos animaux domestiques aussi.

Notre engagement ne s'arrête pas à nous, il doit comprendre les autres.

« Aucun homme n’est une île, un tout, complet en soi; tout homme est un fragment du continent, une partie de l’ensemble; si la mer emporte une motte de terre, l’Europe en est amoindrie, comme si les flots avaient emporté un promontoire, le manoir de tes amis ou le tien; la mort de tout homme me diminue, parce que j’appartiens au genre humain; aussi n’envoie jamais demander pour qui sonne le glas : c’est pour toi qu’il sonne ». (Wikipédia, John Donne)

3 commentaires:

  1. Tu apportes des bons points, mais je ne crois pas que ça réfute la thèse du jardinet pour autant. En effet, si chaque homme (au sens d'humain) est lié aux autres, alors chaque geste que nous posons implique l'humanité dans son ensemble. En tant qu'individu, je n'ai aucune envie d'aller me quereller avec un chef d'état qui n'a que son profit en tête pour qu'il impose des lois restrictives qui seront contournées d'une façon ou d'une autre. De toute façon, si chaque citoyen le faisait, ce serait un capharnaüm sans nom. Je préfère cultiver mon jardin avec amour, bien traiter mes enfants, faire mes conserves, manger moins de viande, réduire ma consommation de matières à usage unique, prendre soin de mon prochain et sourire aux passants puisque, comme tu l'as si bien cité, "tout homme est un fragment du continent". Tout ce que je fais, ma famille, mes amis, mes voisins me verront le faire et certains me copieront, et lorsque l'exception sera le jardinier qui utilise des produits chimiques, il se rangera à la norme.
    J'ai beau être une littéraire dans l'âme, je ne sais pas si le pouvoir aujourd'hui appartient encore aux mots. Je crois que les actions et la consommation parlent d'avantage qu'un article de journal à notre époque. Ce qui est peut-être aussi bien, parce que les mots, on peut leur faire dire n'importe quoi, ça n'est pas engageant. Et je crois qu'on a appris à les ignorer. Ils peuvent faire réfléchir, mais pas agir.
    Pour ce qui est du plagiat, c'est toute une autre question: additionne un peu d'esprit citoyen à un fort intérêt personnel et on remarque que l'échange de chansons sur Internet est généralement bénéfique aux ventes de disques. Surtout pour les petits groupes. Il n'y a pas de raison de copier une chanson sans en nommer l'auteur ou les interprètes! Une fois l'intérêt créé, si on aime, on finit souvent par acheter. Mais s'il faut acheter pour essayer, alors on reste avec des valeurs sûres: Céline Dion, Star Académie... (On parle ici du consommateur moyen...) Et pour ce qui est du plagiat des grosses compagnies qui font des millions...
    Et pour les personnes âgées c'est le même principe; si chacun se soucie de ses parents, en prend soin ou veille à ce que d'autres en prennent bien soin, les établissements devront s'adapter aux plus exigeants et les autres en bénéficieront.
    Aucun individu de peut sauver le continent; ça n'est pas sa responsabilité. Lorsqu'un seul a le pouvoir de tout mettre à son image... je vous renvoie à César, Napoléon, Hitler... même si leurs pouvoirs étaient limités, on voit ce que ça a donné. Et pourtant, comme nous, ils avaient un rêve.
    Si tout le monde cultive son propre rêve et prend la responsabilité de chacune de ses actions, je crois que le monde va changer. C'est ça mon rêve! Tu vois, je n'ai pas abandonné le monde!

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  2. Oh, et désolée pour l'immense commentaire! Je crois que ça va démontrer que, plus on utilise de mots, moins ils ont de portée!

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  3. Tout d'abord, je ne crois pas que l'engagement citoyen veut dire que l'on doit se présenter à un chef d'État pour discuter avec lui. Notre engagement peut être simplement de se tenir au fait des décisions prises par nos différents leaders pour qu'au moment où nous sommes appelés à exercer notre droit de vote, nous puissions le faire de façon consciente et éclairée. Avoue que, particulièrement chez les jeunes, le simple exercice du droit de vote semble demander un effort surhumain et pourtant... dans certains pays, on se bat pour obtenir ce droit démocratique.

    Et je continue à penser que l'on ne peut se limiter tout le temps à notre jardinet. J'ai déjà perdu toute une plate-bande de fleurs une année parce que la voisine ne jure que par les pesticides. Il y a de ces gens qui ne comprendront jamais rien. C'est la raison pour laquelle nous devons organiser la société pour que les droits des uns et des autres soient respectés. Je conviens cependant qu'il s'agit là d'une tâche très ardue.

    Pour ce qui est du pouvoir des mots, contrairement à toi, je crois qu'il existe toujours. Il est vrai que les mots n'engendrent pas nécessairement l'action mais tant qu'ils sont là pour dénoncer, révéler, affirmer, féliciter, reconnaître, expliquer et que sais-je encore, ils conservent leur utilité. Libre à chacun de les lire ou non, libre à chacun de réagir ou non.

    Je ne vois pas de problème à copier une chanson. Je sais d'ailleurs que certains groupes choisissent délibérément de mettre leurs tounes sur Internet afin de se faire connaître. Mais je crois que, lorsqu'on aime vraiment un album après avoir téléchargé quelques chansons, on devrait poser le geste d'aller l'acheter. Par reconnaissance du travail accompli par les artistes.

    Enfin, pour les vieux, c'est un grand rêve de penser que les enfants, notamment, vont s'occuper de leurs parents. Combien de personnes âgées sont laissées à elles-mêmes, sans défense devant les abus. C'est sûr qu'à 20 ans, je ne pensais pas à ça. À mesure que je prends de l'âge, je ne peux m'empêcher de craindre pour mon avenir. Puis-je vraiment demander à mes enfants de prendre soin de moi dans mes vieux jours? Ils auront leurs propres obligations, leurs familles, leur travail. S'ils trouvent un peu de temps pour moi, tant mieux mais je préfère quand même travailler moi-même à préparer ma vieillesse.

    Moi aussi je me suis un peu éternisée. Je constate seulement que le débat d'idées n'est pas fini et que c'est très bien comme ça. Au plaisir d'en reparler peut-être la semaine prochaine! :))

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