lundi 28 septembre 2009

Dilemme cornélien

Je vous expose la situation. Je suis à la clinique médicale et j'attends, dans une file avec d'autres patients, que l'on procède à notre inscription afin que nous puissions voir un médecin au sans rendez-vous. La pratique, dans notre merveilleuse clinique, consiste à demander aux malades de se tenir debout le long du mur jusqu'à ce que sonne l'appel de l'inscription. Défense de s'asseoir sinon on perd sa place! J'imagine que c'est là une première façon d'évaluer notre condition physique. Si on fait la planche, on obtient peut-être, je dis bien peut-être, la chance de passer un peu plus vite. J'entretiens toutefois de forts doutes à ce sujet.

Mais voilà que je m'égare. Nous sommes donc debout. La plupart d'entre nous, dans un effort désespéré de réduire l'attente par la suite, sommes arrivés vers 13 h 30 pour l'inscription de 14 h 30 qui mène au sans rendez-vous de 15 h. Étant donné que le médecin présent cette journée-là est un médecin que tout le monde adore parce qu'il est exceptionnel et parce qu'il prend le temps qu'il faut, le rang qui nous sera assigné prend effectivement toute son importance. C'est que le médecin en question voit en moyenne deux patients à la demi-heure... quand tout roule bien, ce qui n'est à peu près jamais le cas. Je vous laisse donc calculer vous-même le temps d'attente si vous êtes le douzième par exemple.

Ne vous découragez pas, j'arrive au vif du sujet. Retournons donc près du mur. Il est maintenant 14 h 15 et l'impatience gagne doucement les patients. C'est que nous commençons à avoir hâte de prendre racine sur une chaise pour faire changement. S'amène une jeune maman avec un petit garçon d'environ deux ans dans une poussette. Je dois dire que le pauvre a l'air plutôt mal en point. Il a les yeux rouges mais, surtout, il est anormalement tranquille. Enfin... la mère se stationne en double à la hauteur de la personne qui occupe le troisième rang et elle ne bronche pas. Nous non plus. Mes deux voisins masculins me passent quand même la remarque que le petit semble vraiment malade. Soudainement, la personne numéro trois, dans un élan de générosité sans borne, offre sa place à la mère en lui disant : "Vous passerez devant moi". Et comme la mère hésite à accepter l'offre (elle éprouve après tout une petite gêne en regardant la file qui compte dorénavant une vingtaine de personnes le long du mur), la personne numéro trois renchérit : "Allez-y. Ça ne dérange pas." Parle pour toi vieille poufiasse.

Bon, bon, cessez de m'envoyer des tomates et laissez-moi au moins poursuivre. Je n'ai rien contre un acte de bonté... à condition qu'il en constitue réellement un et qu'il ne soit pas imposé à d'autres. En effet, quel sacrifice la poufiasse a-t-elle vraiment fait? Passez devant moi mais moi je reste là. Si elle voulait absolument être totalement bonne, il fallait, selon moi, qu'elle cède sa place et qu'elle se dirige ensuite à la toute fin de la file. Au lieu de quatrième, elle se serait retrouvée vingt-et-unième et n'aurait pas forcé tout le monde à accepter sans coup férir d'être décalé d'une place. Évidemment, toute la file s'est tue. Qui veux passer pour un monstre d'égoïsme?

À ceux et celles qui sont tentés de m'envoyer périr en enfer pour grossière insensibilité, je rajoute ceci. À 17 45, alors que j'attendais que mon numéro sept soit enfin incessamment appelé, je vois entrer une autre maman avec un jeune bébé qui n'était pas bien lui non plus. Il pleurait beaucoup et il semblait fiévreux. Cette fois, la mère s'était inscrite normalement. À cause de cela, j'ai pensé lui laisser ma place et demander à ce que l'on me mette à la queue. De toute façon, ça commençait à faire pas mal longtemps que j'attendais. Deux ou trois heures de plus, est-ce que ça ferait vraiment une différence? C'est le calcul auquel j'étais arrivée en regardant le nombre de personnes qui attendaient encore leur tour. Comme j'allais me lever pour présenter ma proposition, je vois entrer une autre maman avec deux enfants malades. Je me suis rassise. J'ai sans doute manqué de courage mais il y avait aussi dans la salle une vieille dame qui avait de la difficulté à marcher et qui peinait visiblement à rester immobile sur une chaise droite, deux monsieurs qui étaient pris du coeur et qui respiraient péniblement et une jeune femme enceinte par-dessus la tête.

J'aurais peut-être dû faire tirer mon numéro et partir car mon dilemme, à la fin, se résumait à ceci : suis-je vraiment assez malade pour avoir le droit de consulter un médecin?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire